ARCHEVECHE
B.P. 3324 Prot.438.08/17/1/8
B U K A V U
QUELLES PERSPECTIVES POUR LA PAIX EN RDCONGO
Adresse à Son Excellence Monsieur Adolphe MUZITO, Premier Ministre et Chef de
Gouvernement de la République Démocratique du Congo de passage à Bukavu
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
C’est pour nous une grande joie de vous accueillir au Sud-Kivu, à moins d’une semaine après votre investiture et pour la première fois depuis que vous avez été élevé à la primature de notre Pays. Cette prise de responsabilité nous encourage et nous réconforte. Par le concours des circonstances, nous sommes comptés parmi les premiers bénéficiaires de vos missions à l’intérieur du pays. Votre présence ici suscite un immense espoir pour la population, qui attend connaître la réponse du Gouvernement à la crise qui tourmente le pays en général et l’Est en particulier.
Comme vous le savez, le 28 août 2008, les hostilités ont repris dans le Nord-Kivu. Elles risquent d’embraser à nouveau tout le pays et le ramener à la case départ. Ce serait ainsi plus de 5. 000.000 de morts pour rien, 1 milliard de dollars par an à la MONUC depuis 6 ans et 500.000.000 $ de frais électoraux jetés à l’eau. Et le calvaire du peuple congolais se poursuit. Ce peuple est ainsi décimé dans la plus grande confusion d’un côté tandis que règne la plus grande quiétude de l’autre. Pourquoi ?
Le drame congolais a des implications économiques et politiques à plusieurs paliers : au niveau international, national et local.
a. Au niveau International
La République Démocratique du Congo est en guerre depuis 1998. Cette guerre s’est révélée ensuite comme une guerre de prédation régionale et internationale. La difficile gestion des ambitions politiques des acteurs congolais n’en constituait que des épiphénomènes.
C’est ce qui ressort du Panel des Nations Unies sur le pillage des ressources naturelles de la République Démocratique du Congo. Pour de l’or, du diamant ou du coltan, des populations entières sont décimées, leurs habitations occupées, détruites ou incendiées par des bandes armées congolaises souvent clairement soutenues par des armées étrangères, avec des ramifications internationales encore plus étendues qu’on ne l’imagine.
Un double procès à la Cour Internationale de la Haye renseigne sur ces faits : l’Uganda et le Rwanda y étaient nommément inculpés. Mais justice n’a pas été vraiment rendue au Congo, du moins jusqu’à présent, face à ses voisins servant de relais à une nébuleuse des prédateurs internationaux désormais mieux identifiés depuis le Panel des Nations Unies sur les réseaux de pillage des ressources naturelles du Congo.
Parmi les propositions retenues par certaines chancelleries pour régler la question, on envisage un Sommet à Nairobi. Ne serait-il pas pertinent d’envisager également un autre qui réunirait les Etats-Unis, l’Union européenne et certains pays du Sud-Est asiatique pour qu’ils règlent leurs problèmes autour de leurs intérêts géostratégiques, économiques et même fonciers qui alimentent des tensions meurtrières dans cette Sous-région en général et au Congo en particulier. On épargnerait ainsi la mort à d’innombrables paysans et il y aurait moins de criminels. Ce qui allégerait également la tâche aux humanitaires et favoriser l’action des investisseurs.
b. Au niveau national.
Un processus de consolidation de la paix et de l’autorité de l’Etat a été mis en place par les institutions démocratiquement élues. Celles-ci ont délégué à cet effet le Programme AMANI par les résolutions conclues et signées à Goma le 23/01/2008.
Nous souhaitons vivement que nous congolais puissions unanimement soutenir ce processus et le Programme Amani, que nous puissions faire passer l’intérêt suprême de la Nation avant nos intérêts particuliers qui poussent à des divisions préjudiciables au peuple. Sur ce point précis on voit se creuser un fossé entre les aspirations de nos populations et les manœuvres politiciennes de certains élus pourtant portés au pouvoir par ces mêmes populations.
Dans l’exercice de ce pouvoir démocratique, nous espérons voir enfin l’Etat prendre pleinement ses responsabilités institutionnelles et assurer ses prérogatives de souveraineté (intégrité territoriale, unité, paix et sécurité pour les citoyens, bonne gouvernance au service du peuple par les dirigeants). Il nous semble nécessaire et urgent pour un pays riche en ressources naturelles comme le nôtre de bâtir une armée suffisamment forte pour garantir sa stabilité et son développement.
Cette évolution ne saurait se faire avec le laisser-aller actuel qui se manifeste de façon criante par la corruption au sein de la hiérarchie militaire et des services publics.
c. Au niveau provincial
Nous attendons de nos élus un engagement soutenu et la prise en charge des préoccupations de nos populations, spécialement en matière de paix, de sécurité et de bonne gouvernance. Au lieu de quoi on a l’impression qu’ils s’occupent plutôt de leurs positionnements et de leurs intérêts égoïstes. En effet, voici un an, nous avons vu nos députés se mobiliser comme un seul homme pour mettre dehors un gouverneur. Pour le problème des enseignants, du personnel de santé et d’autres questions sociales, ils ne disent rien. Maintenant que la Nation est en danger, on observe un silence presque total ; peut-être y travaillent-ils tout de même, mais le public n’en n’est pas informé. Nous aimerions connaître les priorités de nos élus en Province?
d. Perspectives
Voici quelques temps, en 2007 j’adressais à l’Ambassadeur de France une page portant sur les préoccupations sécuritaires de nos populations et des appréhensions de préparation d’une nouvelle guerre. Des personnalités éminentes ont trouvé l’accent exagéré et estimé que la situation était sous contrôle. Il n’y aurait pas eu de raison de s’inquiéter. Au Comité de Pilotage, le 23/09/2008, nous disions que ce qui était rumeur hier est devenu réalité aujourd’hui. En tout cas, plus que jamais, la vigilance est de rigueur.
Dans un système devenu aussi fragile que le nôtre, on se sent enfermé dans un cercle vicieux : nous passons de rébellions en pourparlers, de pourparlers en accords, des nouvelles mises en place au sein de nouvelles institutions et de nouvelles institutions en nouvelles rébellions…bref, un éternel recommencement.
En fait, la population congolaise est l’otage de plusieurs mobiles régionaux et internationaux.
– La prédation des ressources naturelles qui fait que des bandes armées de toutes sortes sacrifient les populations congolaises pour se frayer un espace de non Etat où chacun vient puiser librement sans autres frais à payer que ceux proportionnels à ses capacités de nuisance : cela est vrai pour les bandes armées congolaises aussi bien que pour les milices étrangères. A cette allure, le pays court le risque de devenir un repaire de brigands et même, si l’on n’y prend garde, un repli pour d’éventuels terroristes contre toute l’humanité.
– La prévention d’un autre génocide au Rwanda dicte des réflexes épidermiques de plusieurs responsables qui cessent de réfléchir sereinement lorsque ce mot est prononcé. Sous cette émotion, et pour des raisons morales même, ils laissent faire l’holocauste du peuple
congolais au nom de ces précautions: plus de 5 millions de congolais ont perdu leurs vies dans cette affaire. Notre point de vue est celui-ci : le génocide est à éviter absolument ; ce point de vue nous le partageons avec la Communauté Internationale. Mais on ne peut le faire aux dépens d’un autre peuple. Ce serait corriger un mal par un mal. Le génocide a été commis au Rwanda par des rwandais sur des rwandais. Il est donc absurde et injuste que la Communauté Internationale continue à en faire payer les frais aux congolais, innocents dans la conception, dans la planification et dans l’exécution. Il faut plutôt, par exemple, aider le peuple rwandais à se réconcilier chez lui avec lui-même, au lieu d’exporter ses problèmes chez autrui où il ne trouvera pas de solution. La Communauté Internationale a bien aidé le Congo et le Burundi à organiser leurs dialogues nationaux respectifs, ainsi que des élections démocratiques, libres et transparentes. Il serait temps que l’on en fasse autant pour le Rwanda. C’est alors que la renaissance de la CEPGL aura un sens.
– Autrement, le Congo doit-il payer les frais de la mauvaise conscience de la Communauté Internationale qui n’a pas arrêté le génocide alors qu’elle était sur place et fortement armée.
– La MONUC, au stade actuel, quel est son rôle ? Les choses se passent-elles de la même manière, avant comme après les élections ? Après avoir englouti tant de moyens, va-t-elle laisser le pays sombrer dans le chaos, observant les morts, les déplacés, les victimes de viols et leurs auteurs ?
– D’aucuns se demandent si les institutions mises en place par les élections exercent leurs fonctions ou sont-elles toujours placées tacitement sous tutelle de la MONUC. Font-elles vraiment tout ce qui est à leur pouvoir pour que le pays redevienne un Etat respectable au concert des Nations ?
– Comme tous les Etats souverains, la RDC a le droit et le devoir de maintenir la paix et la sécurité sur toute l’étendue de son territoire, d’y assurer un développement harmonieux, et de se doter les moyens suffisants pour y parvenir.
Conclusion
Nous, Eglise de Bukavu, solidaire de la souffrance de notre peuple, nous nous engageons pour la paix et le développement, et demandons aux institutions légitimement mises en place tant au niveau national que provincial d’exercer leurs fonctions en pleine responsabilité. Nous demandons à tous nos compatriotes de les soutenir dans cette lourde tâche. Ensemble, soyons responsables de notre jeune démocratie.
Tout en saluant les efforts exceptionnels déployés au Congo par la Communauté Internationale, nous lui demandons en supplément un sens plus élevé d’équité dans le traitement des problèmes qui concernent le Congo au sein de cette région des Grands Lacs.
Enfin, Excellence Monsieur le Premier Ministre, nous demandons que ces préoccupations soient prises en compte dans les options nationales et dans les négociations internationales afin que toutes les populations de cette sous région des Grands Lacs se retrouvent dans la paix et la cohabitation pacifique d’antan.
Fait à Bukavu, le 05 novembre 2008
+ François-Xavier MAROY RUSENGO
Archevêque de Bukavu